L'Ambassade de France à Ottawa, 3e chapitre. Publication n°25 (10/02/2015)
Ils étaient cinq: cinq artistes qui ont participé à la décoration de l'Ambassade de France à Ottawa. Trois d'entre eux sont venus travailler sur place, les deux autres ont réalisé leur oeuvre en France et l'ont expédiée au Canada.
Ces artistes sont Alfred Courmes bien sûr, Louis Leygue, Charles-Emile Pinson, Robert Cami, André Bizette-Lindet.
Courmes, Leygue et Pinson, venus sur place se virent confier un espace à décorer. Courmes fit la décoration de la grande salle à manger, Leygue le grand salon et Pinson le bureau de l'ambassadeur. Cami orna de quatre médaillons ronds les portes de Jean Prouvé. Enfin Bizette-Lindet sculpta des bas-reliefs pour la décoration du salon rond.
Fait ses études de sculpture à Paris. Reçu premier au concours d'entrée de l'école Germain Pilon (Arts Appliqués), reçu encore premier au concours d'entrée des Arts Décoratifs, il continue aux Beaux-Arts. Il concourt au Prix de Rome en 1931, obtient le premier Grand Prix et séjourne à la Villa Médicis en 1932.
Il rencontre Eugène Baudouin, l'architecte de l'Ambassade de France à Ottawa en 1935 et se voit confier la décoration du grand salon:
"Eugène Baudouin ne souhaitait pas concevoir un salon et ensuite le décorer. Tout au contraire, dès le début de son projet, il voulut construire autour d'un décor. Une tapisserie prestigieuse retint son attention: " Le Triomphe de Constantin", tissé au XVIIIe siècle, d'après un carton de Raphaël, à la Manufacture Royale des Gobelins.
De plus, Baudouin - pionnier de l'utilisation du béton dans la construction - décida d'utiliser celui-ci, brut de décoffrage, comme un élément décoratif pour le plafond du salon.
Louis Leygue fut donc chargé de concilier ces deux options antinomiques: "la précieuse tapisserie et le béton armé." L'artiste s'inspirera directement de la tapisserie et de sa bordure pour créer un décor en stucs polychromes qui continuera celle-ci sur la totalité du mur principal en la raccordant au plafond brut." Jean Paul Ledeur, Les années 30 sur les rives de l'Outaouais, 1993.
Leygue y représentera entre autres: Adam et Ève, l'Amour Profane, l'Amour Sacré et la Paix.
Le grand salon
Le grand salon
Louis Leygue intervint aussi plus modestement dans le bureau de l'ambassadeur, son antichambre ainsi que le palier du premier étage.
Charles-Emile Pinson (1906-1963) :
Boursier à 18 ans dans l'atelier de gravure de la célèbre école Estienne, il entre aux Beaux-Arts en 1925. Premier Grand Prix de Rome en taille douce en 1932. Pour l'anecdote, il gravera entre autres des billets pour la Banque de France et des faux-papiers qui lui permettront de revenir en France après avoir été fait prisonnier de guerre en 1942.
Charles-Emile Pinson exécuta une gravure sur pierre d'un genre unique dans le bureau de l'ambassadeur, sur une surface d'au moins cent mètres carrés. Il put enfin réaliser son rêve de jeunesse et travailler cette technique de miniaturiste avec ampleur et démesure. En faisant sortir la gravure de ses cadres, il l'élevait ainsi au rang de la peinture. En 1938, il fait poser toutes les pierres, grave directement sur le mur puis encre en noir dans les creux. Il raconte l'histoire du Canada : de Jacques Cartier au traité de Paris de 1763 restituant le Canada à la Grande-Bretagne. La légende de la Nouvelle France s'inscrit en dix panneaux sur les quatre murs de la pièce et compte environ 240 personnages !
Bureau de l'ambassadeur.
Bureau de l'ambassadeur. "La Grande Hermine", gravure sur pierre 1938.
À gauche de la cheminée, "La France", Louis Leygue.
Les pierres polies en Mansart du bureau de l'ambassadeur, mais aussi le marbre des encadrements des baies, des plinthes et des consoles de la salle à manger, la pierre de Saint Maximin, le travertin Salamandre pour le sol et le Prémeaux de Bourgogne de la rampe de l'escalier du grand hall, le Suffren du salon rond, la pierre d'Artiges de la cheminée du fumoir mais également les portes, les fenêtres et chassis des fenêtres préfabriqués en cuivre, furent acheminés de France !
Dessinateur et graveur il commence ses études aux Beaux-Arts de Bordeaux puis à l'école nationale des Beaux-Arts de Paris. Premier Grand Prix de Rome de gravure sur médailles en 1928. Eugène Baudouin demande à Robert Cami de décorer les deux grandes doubles portes du salon de l'ambassade.
Créés par Jean Prouvé, les vantaux en bronze convexes et polis permettent à la voûte du hall de s'y refléter, créant un perspective nouvelle et inattendue. Cami réalisera quatre médaillons gravés évoquant des valeurs en rapport avec l'histoire du Canada: le Travail, la Famille, la Foi, le Souvenir.
Portes du grand salon en bronze
Les quatre médaillons en bronze: en haut à gauche "Le Travail", en haut à droite "La Famille",
en bas à gauche "La Foi" et en bas à droite "Le Souvenir".
André Bizette-Lindet (1906-1998):
Premier Grand Prix de Rome de sculpture en 1930, il rencontre Baudouin à la Villa Médicis qui lui confiera la décoration du salon rond qui jouxte le grand salon de l'ambassade. André Bizette-Lindet réalise trois panneaux de terre cuite naturelle, façon céramique, sur le thème de l'Histoire de France, à travers Saint-Louis, Jeanne d'Arc et Roland à la bataille de Roncevaux.
On lui doit aussi entre autres les sculptures des portes monumentales en bronze du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
Le salon rond
Terres cuites du petit salon, Roland (in situ), Saint Louis et Jeanne d'Arc (maquettes en plâtre et bois).
Deux autres lieux, le salon de bouleau (le "fumoir") et le hall d'entrée où l'on aperçoit deux tapisseries de Marcel Gromaire, déposées en 1948 par le Mobilier national avec deux autres, sur le thème des quatre saisons.
Salon de bouleau
Hall d'entrée
En imposant sur ces murs un programme qui n'a d'égal nulle part ailleurs dans l'architecture diplomatique du XXe siècle, Beaudouin construisit une ambassade de France des plus atypiques à l'époque, chargée d'une symbolique forte. Chef d'oeuvre architectural et décoratif, elle offre par sa décoration intérieure, qui n'a pas toujours été comprise (cela fera l'objet du prochain article), tous les exemples du luxe et d'une richesse artistiques que les années ont consacrés. Jean Fouace, Ottawa, Ambassade de France, 2010, Éditions internationales du patrimoine.
Lien vers une visite virtuelle de l'ambassade de France (proposé par le site de l'ambassade)
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